11 février 2020
Photo: Fernando Frazão/Agencia Brasil

Les institutions démocratiques du Brésil subissent une véritable attaque depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Depuis le 1er janvier 2019 et son accès à la présidence, nous assistons à la mise en place d’un régime autoritaire, marqué en particulier par un contrôle renforcé sur les institutions culturelles, scientifiques et éducatives, ainsi que sur la presse de ce pays.

Les exemples sont légion. Depuis le début du mandat présidentiel, des membres du parti du président Bolsonaro (PSL) ont incité les étudiants brésiliens à filmer leurs professeurs et à les dénoncer sur les réseaux sociaux pour «endoctrinement idéologique». Cette «chasse aux sorcières», menée à l’initiative du mouvement «école sans parti», a engendré un sentiment d’insécurité au sein des écoles et des universités dans un pays qui, il y a près de trois décennies, sortait d’une longue période de dictature militaire. Le 20 janvier 2020, Bolsonaro a déclaré que les livres scolaires au Brésil ont «beaucoup trop de choses écrites» et a suggéré l’intervention directe de l’Etat sur le contenu des ouvrages mis à disposition dans les écoles publiques.

Le gouvernement Bolsonaro avance sans états d’âme afin d’imposer coûte que coûte son projet ultraconservateur. Ainsi, le directeur de marketing de la Banque du Brésil, Delano Valentim, a été limogé de son poste à la demande du président Bolsonaro pour avoir diffusé sur les chaînes télévisées nationales une publicité, vite censurée d’ailleurs, qui mettait en scène positivement la diversité ethnique et sexuelle de la jeunesse brésilienne. Peu de temps après, alors que les feux ravageaient l’Amazonie, le gouvernement s’en est pris aux scientifiques qui avaient osé dénoncer cette terrible réalité. Ricardo Galvão, ancien directeur de l’INPE (Institut national des recherches spatiales), a été licencié après avoir diffusé des données satellitaires apportant la preuve irréfutable d’une accélération de la déforestation au Brésil.

Restriction des libertés
En outre, le 21 janvier, le parquet fédéral a porté accusation, sans aucune preuve, contre Glenn Greenwald, journaliste et cofondateur de la revue The Intercept, pour participation à une soi-disant organisation criminelle qui aurait piraté les données de téléphones portables des autorités brésiliennes. Il s’agit ici d’une violation de la liberté de la presse, une mesure de représailles qui fait suite à la série de reportages que The Intercept a publiée sur la corruption des élites dans le cadre de l’opération «Lava Jato».

Or, il ne s’agit pas ici d’un cas isolé. Plusieurs agents de l’Etat, dont certains liés à des tribunaux régionaux et à la police militaire, agissent comme autant de cellules de défense du projet ultra conservateur du président Bolsonaro et prennent des mesures de restriction des libertés au sein de la société brésilienne. Pour la seule année 2019, 208 agressions visant des véhicules de presse ont été comptabilisées au Brésil.

Le 16 janvier 2020, l’ancien secrétaire spécial à la Culture, Roberto Alvim, a fait l’éloge, en présence du président Bolsonaro, du «virage conservateur» et de la «Renaissance de la culture» au Brésil. Le lendemain, alors qu’il présentait au public les mesures de mécénat prises afin de remettre la culture sur le droit chemin, Alvim a rendu un hommage à peine voilé au chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels. Compte tenu de l’émoi national et international provoqué par cette déclaration, le secrétaire a été limogé, mais ses mots n’en traduisent pas moins une facette majeure du projet de Bolsonaro : remettre en cause la liberté d’expression en muselant plusieurs organes publics, tels que le Conseil supérieur du cinéma (Ancine), le Fond sectoriel de l’audiovisuel, la Bibliothèque nationale, l’Institut du patrimoine historique et artistique national ou la Fondation Palmares.

Verrouillage moral et idéologique
Petra Costa, réalisatrice du documentaire Une démocratie en danger, peut espérer remporter ce qui serait le premier Oscar pour le Brésil, et devenir par là même la première réalisatrice latino-américaine à obtenir ce prix. L’administration de Bolsonaro a utilisé le Twitter officiel de son secrétaire à la communication pour diffuser une vidéo dans laquelle Costa était défini comme un antipatriote qui répand des mensonges. Et, tandis que des films comme Bacurau, la Vie invisible d’Eurídice Gusmão ou Babenco ont été acclamés aux festivals de Cannes et de Venise, le président Bolsonaro peut déclarer sans ciller que cela fait longtemps que le Brésil ne produit plus de bons films.

Avec une telle politique de verrouillage moral et idéologique, ce gouvernement est bien décidé à dicter le contenu des livres scolaires et de la production cinématographique nationale, à restreindre l’accès aux bourses d’études et de recherches, et à intimider les enseignants, les journalistes, les scientifiques et les artistes au Brésil.

Il veut également aller à l’encontre de plusieurs politiques publiques mises en œuvre au cours des dernières décennies, telles les mesures de quotas introduites afin de rendre la société brésilienne plus inclusive, moins inégale. Ces mesures ont abouti à ce que 51% des étudiants des universités publiques soient issus désormais des communautés noires. Or, nous assistons depuis 2019 à une volonté explicite de revenir sur l’affirmation des droits fondamentaux au Brésil.

Nous faisons face à un gouvernement qui nie le réchauffement climatique et les incendies de forêt en Amazonie, qui méprise les leaders qui se battent pour la préservation de l’environnement, en particulier au sein des communautés indigènes et des communautés autonomes quilombolas.

Propagande
Ce gouvernement fait mine de ne rien voir des actions parallèles et criminelles menées par des milices paramilitaires ou de la corruption qui continue de gangrener l’appareil d’Etat ; une corruption qu’il était censé pourtant combattre. Bolsonaro et ses ministres attaquent les minorités et refusent d’entendre la parole des mouvements noirs, indigènes, LGBTQ+. Il préfère aux arguments rationnels les insultes lorsqu’il s’agit de s’en prendre directement aux scientifiques, aux universitaires et aux journalistes qui ne rentrent pas dans le rang. Les coupes budgétaires dans les domaines de la culture et de l’enseignement public reflètent une politique de destruction de l’existant, faute de véritable plan de développement national à présenter à la population brésilienne dans son ensemble.

Ce faisant, l’actuel gouvernement du Brésil dirigé par Jair Bolsonaro porte atteinte aux institutions démocratiques nationales, au risque de mettre à bas les fondements de notre République. Nous en appelons donc à la communauté internationale et à la solidarité entre les peuples pour condamner ces actes de violence et de propagande, ainsi que la censure au Brésil, et exercer une pression internationale sur le gouvernement brésilien afin qu’il se conforme aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et cesse de porter atteinte aux libertés d’expression, de pensée et de croyance.

Finalement, nous appelons les institutions internationales en charge de faire respecter les droits de l’homme ainsi que les principaux organes de la presse internationale à être particulièrement vigilants face à ce qu’il se passe au Brésil et aux atteintes majeures portées à notre démocratie. Le moment est grave : il est urgent de s’opposer massivement à la montée de l’autoritarisme au Brésil.

Parmi les signataires : Petra Costa, Noam Chomsky, Sting, Sebastião Salgado, Sônia Guajajara, Caetano Veloso, Mia Couto, Chico Buarque, Willem Dafoe, Dominique Gallois, Glenn Greenwald…

La liste complète.

Libération